Enjeux et défis du bénévolat de compétences

Enjeux et défis du bénévolat de compétences

Publication of type Interview published on 15-04-2016

Suite à la parution de l'étude menée par Passerelles & Compétences sur les impacts du bénévolat de compétences, nous nous sommes entretenus avec Christine Bourdarias, salariée chez Passerelles et Compétences, et Patricia Delcros, bénévole de l'association, afin d'en savoir plus sur cette forme particulière de bénévolat, ses enjeux et ses défis.

 

Pouvez-vous définir le bénévolat de compétences et le rôle de Passerelles & Compétences ?

Christine Bourdarias (CB): Officiellement nous en faisons la définition suivante : « Mettre à disposition ses compétences et ses talents, gratuitement, en dehors de son temps de travail, au profit d’un projet de solidarité. »

La mission de Passerelles & Compétences (P&C) est de faire la promotion du bénévolat de compétences. Ancien chasseur de têtes, le créateur de l’association a eu l’idée de monter l’association après que l’un de ses amis, rencontré lors d’une expérience humanitaire, ait fait appel à ses compétences pour recruter le Directeur Général de son ONG. Il a ressenti les bénéfices directs de cette mission, effectuée en marge de son emploi. En se penchant sur la question il a vu qu’il y avait une réelle demande des associations mais aussi et surtout une envie d’engagement de la part de beaucoup de professionnels : c’est comme ça que P&C est née.

Quel est l’enjeu du bénévolat de compétences en France selon vous?

CB : On se rend compte dans notre activité qu’il y a un nombre de plus en plus important d’individus qui veulent s’engager. Pour preuve, tous les ans nous avons plus de 900 inscrits dans l’association, et l’année dernière nous avons même atteint presque 1500 nouveaux bénévoles ! Je pense qu’on peut parler de demande grandissante, voire d’engouement de la part des concitoyens pour le bénévolat et le bénévolat de compétences.

De leur côté, les associations, dans un contexte de crise et de désengagement de l’état, sont de plus en plus contraintes financièrement. Parallèlement les besoins qu'elles doivent couvrir auprès de la population sont de plus en plus importants, et impliquent de nouvelles problématiques. Bien souvent les associations sont très efficaces dans leur cœur de métier mais n’ont pas forcément les compétences en interne pour certaines missions transverses : c’est là que l'on intervient.

Sur quels besoins accompagnez-vous les associations, principalement ?

CB : Il ressort de l’étude d’impact que ce sont les compétences en Communication et Marketing qui intéressent le plus les associations, suivies des compétences en Stratégie/Management. Les bénévoles spécialisés dans les domaines tels que RH, Gestion de projet, Informatique et Comptabilité sont également très recherchés.

Comment travaillez-vous avec des partenaires si différents (ONG, associations, entreprises), la simple mise en relation suffit-elle ?

CB : Notre mission ne s’arrête évidemment pas à la mise en relation des partenaires. Avant même d’orienter un bénévole vers une association, on intervient en faisant un gros travail d’analyse du besoin à couvrir. Il faut que le besoin soit très précis, or il arrive que les associations aient du mal à identifier clairement les leurs. Cette étape est primordiale pour que le bénévole corresponde bien au profil que la mission exige, pour qu’il puisse s’épanouir dans son engagement et se sentir utile. Le but est que l’expérience soit utile pour les associations certes, mais aussi pour les bénévoles.

Après ce travail de définition des besoins, on présente le bénévole possédant les compétences les plus pertinentes pour l’action demandée, mais notre travail ne s’arrête pas là. Nous intervenons également en aval, pour assurer le suivi de la mission, vérifier que les choses se déroulent normalement, jusqu’à l’heure du bilan. En effet, à la fin de chaque mission nous effectuons un bilan de l’expérience avec le bénévole et l’association - c'est d’ailleurs sur ces constatations que nous basons notre étude d’impact.

Comment choisissez-vous les missions et les associations éligibles au bénévolat de compétences ? Pouvez-vous nous donner un exemple de mission ?

CB : Toutes les missions doivent être compatibles avec le maintien d’une activité professionnelle pour le bénévole. Le but n’est pas de mettre des bénévoles là où il pourrait y avoir un salarié embauché à temps complet. L’étude d’impact nous apprend à ce sujet que la plupart des associations que nous aidons n’auraient pas pu voir leur besoin couvert sans l’aide du bénévolat de compétences.

Après, il y a autant de mission que de bénévoles !

Avez-vous noté des évolutions ces dernières années, du côté des associations et du profil des bénévoles ?

CB : P&C existe depuis 14 ans mais depuis quelques années les missions d’aide au recrutement / gestion RH, qui représentent une grande partie des besoins, sont rattrapées par les demandes de missions concernant le numérique ou le financement.

Pour ce qui est du profil des bénévoles,  il n’a pas beaucoup changé selon moi mais leurs envies s’expriment différemment. La « formule de base » chez P&C c’était « 1 mission = 1 bénévole », engagé sur plusieurs semaines ou plusieurs mois pour la réaliser. Désormais on ressent que les bénévoles sont attirés par des missions plus courtes et en groupe.

Nous essayons d’évoluer en fonction de ces nouvelles demandes. Par exemple nous avons créé « P&C clic ! », un service en ligne par lequel les associations peuvent poser une question simple et précise à un bénévole qui se chargera d’y répondre lors d’un entretien téléphonique. Nous organisons également des séances de speed consulting sur le mode des speed dating, où associations et bénévoles se rencontrent sur de courts créneaux pour se pencher sur des questions précises.

Vous avez mené une étude sur les impacts du bénévolat de compétence, pourquoi ? Quels sont les grands résultats dégagés ?

CB : Cette étude avait pour but de prouver tout ce qu’on disait depuis des années, avec des chiffres et exemples concrets. Les résultats de l’étude sont aussi une base pour faire évoluer nos services, mieux cibler les besoins de tous.

On ne peut pas citer tous les résultats mais on a par exemple constaté que beaucoup de bénévoles avaient déjà effectué des missions de bénévolats. Nous avons aussi remarqué que plus de 60% des bénévoles exprimaient l’envie de se tourner durablement vers le secteur associatif. Beaucoup recommandent leur expérience et deviennent des ambassadeurs du bénévolat de compétences.

Patricia, Vous reconnaissez-vous dans ces résultats ?

Patricia Delcros (PD) : Tout à fait ! Par exemple, j’étais moi-même bénévole avant de m’engager chez P&C, sur un chantier d’insertion.

Un des principaux résultats dans lequel je me retrouve est le développement d’un fort sentiment d’utilité à travers la réalisation de ces missions de bénévolat, mais aussi le fait de découvrir le monde associatif et ses enjeux sans être simplement un spectateur.

Pourquoi vous êtes-vous engagée en tant que bénévole pour Passerelle&Compétences ?

PD: Avec le bénévolat de compétences, on se rend compte du bénéfice immédiat de son action. C’est très enrichissant. Mes missions antérieures en tant que bénévole étaient très positives mais j’avais envie d’aller plus loin, de proposer autre chose : mes compétences et mes savoir-faires. Sur les conseils d’une amie, directrice d’association, je me suis orientée vers P&C.

Désormais, je suis bénévole pour Passerelles&Compétences ! En effet, on m’a vite proposée de travailler directement pour l’association, en binôme avec Christine. Oui, car une des forces de P&C, c’est qu’ils sont sûrs des bienfaits du bénévolat de compétences donc ils se l’appliquent à eux-mêmes, et en deviennent la vitrine. Je fais donc partie des 300 bénévoles travaillant dans les 19 antennes françaises de P&C. 

Nous avons notamment mené le projet de mesure d’impact et rapidement j’ai intégré l’équipe mécénat. Je travaille à mi-temps, c’est ce qui me permet de donner de mon temps pour l’association. Ce que j’apprécie vraiment c’est que les choses sont très concrètes et vont très vite, entre la proposition de projet, l’élaboration d’un pilote et sa mise en place.

Que vous apporte cet engagement personnellement ? Et professionnellement, a-t’il changé votre façon de travailler ?

PD : Personnellement cela apporte surtout l’opportunité de faire des rencontres. On croise des gens d’horizons vraiment différents, ce qui permet des échanges intéressants. Il arrive qu’on soit confronté à des difficultés à cause de ces différences de cultures et de points de vue, mais cela rend l’expérience très riche humainement.

Professionnellement, cela m’a permis de prendre du recul sur mon activité. Dans mes missions de bénévolat j’ai plus la liberté d’agir et de proposer des idées nouvelles.  

CB : De manière plus globale, je pense que les bénévoles apportent des compétences à l’association pour laquelle ils effectuent une mission mais aussi qu’ils acquièrent de nouvelles compétences, qui pourraient même leur être utiles dans leur activité professionnelle. Nous avons d’ailleurs plusieurs partenariats avec des entreprises, qui proposent à leurs employés de faire du bénévolat de compétences. Le savoir-être et savoir-faire global augmentent des deux côtés.

Comment envisagez-vous la suite de vos activités, en tant que salariée et en tant que bénévole ?

CB : Un des objectifs de P&C est de diversifier le profil des bénévoles. On aimerait pouvoir identifier et mettre en avant des talents en plus des compétences. Par exemple, quelqu’un qui sait faire des montages vidéo mais dont ce n’est pas le métier n’aura peut-être pas l’idée de s’engager pour ce genre de mission, alors qu’il en serait tout à fait capable.

Par ailleurs, comme toute association notre but est de trouver des relais pour multiplier nos actions. De plus en plus d’acteurs existent autour de l’engagement citoyen, on travaille déjà avec un réseau de partenaires (Webasso, Pro Bono Lab, Microdon) mais il y a encore plein de beaux projets qu’on aimerait accompagner.

Nous aimerions également poursuivre notre travail sur la mesure d’impact pour pouvoir suivre l’évolution de notre activité, et ainsi montrer les bénéfices (à court, moyen et long terme) du bénévolat de compétences, à l’ensemble des acteurs qui nous entourent.

Enfin, la question du bénévolat de compétences émerge en Europe, c’est pourquoi nous travaillons avec des partenaires européens pour établir des indicateurs communs afin de formaliser ce sujet. D’ailleurs nous participons avec Pro Bono Lab à l’organisation d’un sommet Européen en Octobre à Paris sur ce sujet, intitulé « European Pro Bono Summit ».

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