La RSE en 2016 : Point de vue

La RSE en 2016 : Point de vue

Publication of type Brève published on 29-01-2016

Qu’est ce qui attend les grandes entreprises françaises ? Et les citoyens ?

 

A considérer que la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) soit la prise en compte par les entreprises de préoccupations sociétales dans le cadre de leurs activités, mais également et surtout la prise en compte des impacts de celles-ci sur la société, alors il n’y a qu’un pas pour affirmer que les nouveaux bénéficiaires de cette prise en compte soient les individus, qu’ils soient à l’intérieur ou à l’extérieur de l’entreprise. Aussi, même si la question est rarement posée en ce sens lorsque l'on parle de RSE, il est pourtant plus que légitime de réfléchir en ces termes :

 

 

Qu’est ce qui attend les citoyens en 2016, à l’égard des entreprises ?

 

Pourront-ils obtenir plus d’informations de la part de celles-ci sur les produits qu’ils consomment ? Pourront-ils être certains que les produits qu’ils achètent n’auront pas participé indirectement à l’exploitation de travailleurs au bout de la chaîne ? Pourront-ils acheter des produits qui n’ont pas alimenté un conflit faisant des milliers de morts dans une autre région du monde ? Pourront-ils s’assurer que l’énergie qu’ils utilisent ne provient pas d’un puit de pétrole qui a pollué une forêt aussi grande que le Portugal ? Pourront-ils avoir confiance dans la sécurité sanitaire des produits qu’ils consomment et demander des comptes aux entreprises si besoin ?

 

Les citoyens savent-ils seulement que depuis quelques mois, une proposition de loi est ardemment discutée au Parlement pour permettre de répondre positivement à toutes ces questions ? Savent-ils que des discussions ont lieu au niveau des Nations Unies pour qu’un traité international fixe un cadre juridique pour responsabiliser les entreprises ? Rappelons en effet que le droit permet aux entreprises d’attaquer en justice un Etat qui prendrait des décisions contraires à ses intérêts[1] ; alors qu’un individu aura encore bien du mal aujourd’hui à demander des comptes à une entreprise. C’est pour cette raison que les Nations Unies ont adopté en 2011 un texte proposant des lignes directrices aux Etats et aux entreprises, afin de faire évoluer cette situation dans leurs politiques[2].

 

Alors, loin de pouvoir affirmer que le droit apportera bientôt des réponses aux questions posées plus haut, les citoyens pourront en tous cas sans doute s’attendre à quelques sollicitations, de la part des entreprises, pour dialoguer avec eux ; peut-être seront-ils informés de loin de leur implication dans la lutte contre le réchauffement climatique ou de quelques investissements en matière d’innovation sociale, ou encore de certains efforts faits pour améliorer le bien-être des collaborateurs… faute d’attirer une génération Y en quête de sens. Mais cela dépendra de la volonté de chacune de ces entreprises ; de la concurrence peut-être ; de la performance économique, certainement.

 

Dans tous les cas, ce début 2016 sera marqué par une crainte certaine pour les citoyens lanceurs d’alerte, mais par une avancée sans précédent pour les entreprises : le renforcement de la protection du secret des affaires dans toute l’Europe, grâce à une directive européenne en cours d’adoption[3]. Mais parlions-nous de responsabiliser les entreprises ou les citoyens ?

 

Alors, qu’est-ce qui attend les entreprises en 2016 en matière de RSE ? Autrement formulé : qu’est ce qui attend les entreprises pour qu’elles prennent en compte les enjeux sociétaux dans leurs politiques, en tous cas qu’elles limitent leurs effets négatifs - bref, qu’elles se responsabilisent ? Pour le moment, rien de très contraignant comme nous le disions.

 

Les Objectifs du développement durable (ODD) ont bien été adoptés en septembre dernier. Tout un chacun est invité à participer à leur réalisation - dont les entreprises. Le dialogue avec leurs parties prenantes est l’un des moyens visés pour la mise en œuvre des ODD.

 

L’écoute des attentes des citoyens deviendra probablement un axe central dans les politiques de RSE des années à venir. Les instances de dialogues multi-acteurs ne cessent d’ailleurs de se développer, pour permettre une co-construction certainement devenue nécessaire à certains égards. La plateforme RSE, instance multi-partie prenantes mise en place par le gouvernement, prendra-t-elle le lead sur ce sujet ? Suite au renouvellement de sa présidence et du Bureau et à son nouveau programme de travail[4], on peut l’espérer.

 

Quant à la proposition de loi sur le devoir de vigilance, dont l’ambition est d’imposer aux très grandes entreprises la mise en place de plans de vigilance afin que la voie de la responsabilisation ne soit pas qu’une question de choix, la route est encore longue, mais loin d’être terminée. A ce jour, cette proposition de loi a été rejetée par le Sénat à la fin de l’année 2015, le 18 novembre exactement, et renvoyée, vide. “Vide”, la majorité des Sénateurs ayant en effet estimée que le texte ne tenait pas juridiquement la route, argument opposé sans cesse depuis son premier dépôt à l’Assemblée Nationale. Certains sénateurs ayant même estimé “qu’il n’y avait absolument rien à garder (…). Car ce n’est pas avec de grands discours humanistes que nous faisons avancer le droit[5]". Est-ce avec l’économie et la finance alors ? Ce point de vue est suffisamment intriguant lorsque l’on parle de respect de l’environnement, de droits des travailleurs ou encore de droits humains pour mériter un petit détour dans la réflexion.

 

Qu’est-ce qui fait avancer le droit, justement ? Quels sont les fondements, la genèse d’une loi ?  Qu’est-ce qui justifierait qu’une loi oblige les entreprises à prévenir les effets potentiellement néfastes de leurs activités sur les individus, les conditions de travail, l’environnement, et même l’économie, si l’on pense à la lutte contre la corruption ou l’évasion fiscale, qui, au-delà de tout discours “humaniste”, vide les fonds publics et oblige les Etats - dont la France – à se délester d’un certain nombre de services publics au profit des entreprises privées ?

 

Alors, qu’est ce qui fait avancer le droit, surtout lorsque l’on parle de responsabilité sociétale et de développement durable ? Des considérations humanistes : espérons-le ! Surtout si l’on considère que le droit vise avant tout à proposer un cadre du vivre ensemble aux citoyens, en organisant les règles de cette communauté. En tout état de cause, la connaissance des règles de droit, de ses principes et de son histoire, reste très certainement l’un des leviers permettant de faire avancer le droit, et donc ce cadre. On le doit aux juges, aux praticiens du droit, et à la doctrine, gardiens de la connaissance technique et de l’histoire de cet amas de règles, et cherchant tant bien que mal à expliquer une cohérence qui fait parfois défaut entre toutes ces règles.

 

Mais ce sont également et surtout des choix politiques, opérés par le gouvernement et le Parlement, qui font avancer le droit. Eux-mêmes sont informés et influencés par des citoyens venant d’horizons divers (chefs d’entreprises, salariés, militants, experts, consommateurs, représentants associatifs…).

 

Alors, qu’est-ce qui attend les entreprises et les citoyens en 2016 en matière de RSE ? Un peu plus de vigilance certainement ; de toute part. Du dialogue, de l’innovation, mais surtout la mise en œuvre de politiques privées et publiques, en accord avec des dizaines d’accords internationaux visant à plus de responsabilité et une prise en compte des intérêts extra-économiques accrue de la part des entreprises, pour leur redonner du sens, et replacer l’individu au cœur de ces organisations.

 

 

 

 

 



[1] Sur cette question, voir quelques exemples : Benoît Bréville et Martine Bulard, « Des tribunaux pour détrousser les Etats », Le monde diplomatique, juin 2014, pp. 14-15, disponible sur http://www.monde-diplomatique.fr/2014/06/BREVILLE/50487, dernière consultation le 29 janvier 2016.
[2] Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme, Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies, 17 juin 2011, http://www.ohchr.org/Documents/Publications/GuidingPrinciplesBusinessHR_FR.pdf
[3] Proposal for a Directive of the European Parliament and of the Council on the protection of undisclosed know-how and business information (trade secrets) against their unlawful acquisition, use and disclosure - Analysis of the final compromise text with a view to agreement, ST 15382 2015 REV 1 COR 1 - 2013/0402 (OLP). Adopté par la Commission des affaires juridiques du Parlement européen le 28 janvier dernier, ce texte devra désormais passer devant le Parlement européen en avril prochain.

http://www.emeeting.europarl.europa.eu/committees/agenda/201601/JURI/JURI%282016%290128_1/sitt-1457625
[4] http://www.strategie.gouv.fr/actualites/programme-de-travail-2016-2017-de-plateforme-rse
[5] Interview de Christophe-André Frassa, Concepcion Alvarez, « Devoir de vigilance des multinationales : la loi rejetée par le Sénat », Novethic, article publié le 19 novembre 2015, dernière consultation le 21 janvier 2016. http://www.novethic.fr/isr-et-rse/actualite-de-la-rse/isr-rse/devoir-de-vigilance-des-multinationales-la-loi-rejetee-par-le-senat-143703.html

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